Planet Cap Blog

A powerful process of self-discovery

La Musique, le dessin et l’imaginaire de l’enfant

Parler de l’imaginaire, redonner sa place aux mythes, aux rêves, aux symboles, aux archétypes peut être de nos jours perçu comme une entreprise d’évasion ou de déconnexion du réel. Pourtant, par l’exploration de notre monde intérieur, au travers d’une expression symbolique spontanée, le Moi se transforme et des changements positifs profonds s’opèrent.

Ne regardez plus votre enfant comme un enfant « dys »

On voit de plus en plus d’enfants qui, très tôt, sont submergés par leurs émotions: pleurs incessants, colères incontrôlables, repli et tristesse ou agitation… Le premier réflexe de l’entourage est de rechercher un diagnostic, avant ou dès les premiers apprentissages, pour déterminer s’il n’y a pas de troubles cognitifs spécifiques pouvant engendrer un déséquilibre psycho-affectif. Les parents sont anxieux dès l’apparition de la moindre particularité de leur enfant, et sentent peser sur lui, telle une fatalité tragique et inéluctable, le poids des épreuves de leur propre scolarité, donc de leur vie sociale, professionnelle et familiale. Une fois l’étiquette posée sur le front de l’enfant, il est bien difficile de la décoller. L’anxiété s’impose à tout le système familial, scolaire, social. L’enfant n’est plus vu qu’au travers de ses «dys» (les «enfants dys» comme on les appelle aujourd’hui) — et bien souvent regardé comme étant tout ce qu’en fait, il n’est pas.

Les dessins d’enfants ont des similitudes avec les contes de fées 

Comment faire en sorte que l’enfant soit à nouveau regardé au travers de tout ce qu’il est?

La compréhension des dessins, spécialement ceux déclenchés par une musique à effet cathartique, permet aux adultes de découvrir des aspects insoupçonnés de la réalité intérieure des enfants. Cette réalité révélée donne aux parents des clefs pour appréhender l’éducation de l’enfant sous un angle compréhensif et créatif, ce qui évite souvent de passer par la case diagnostic, si traumatisante.

Quant aux enfants, comme dans les contes de fées, une telle approche les aide à une transposition imaginaire de leurs problèmes, de leurs peurs, mais aussi de leurs espoirs et de leurs ressources intérieures. Dans une époque de sur-sollicitation constante, donner l’occasion à un enfant de percevoir et de révéler, sous une forme symbolique, son monde intérieur est le moyen le plus efficace de l’aider à grandir.

Le dessin réalisé sous induction musicale va l’amener à voir plus clair dans ses sentiments, à mettre de la cohérence dans le tumulte de ses émotions et à prendre conscience de ses propres difficultés: rivalité avec ses frères et soeurs, difficulté à grandir, peur de l’échec, impression de ne pas être aimé, compris ou accepté. Cette fonction de cohésion est essentielle car elle est porteuse d’harmonie, de solidité, d’authenticité et donc de discernement.

Comment préparer son enfant à une vie d’adulte consciente

On aidera ainsi l’enfant à trouver en lui-même comment résoudre un conflit présent, éviter l’inscription profonde d’un élément traumatique, sur lequel vont venir se greffer d’autres frustrations, d’autres perturbations, chocs et déceptions, triste promesse d’une vie adulte problématique.

Et bien au delà, on lui permettra de construire les mécanismes qui lui sont propres — et donc adaptés à ce qu’il est réellement —  pour faire face de façon constructive aux événements futurs qui pourront à nouveau le troubler émotionnellement.

Enfin, ne négligeons pas la valeur sociétale de ce travail. Cet enfant aura plus de chances  de laisser surgir de son esprit les idées créatrices qui sont généralement enfermées dans la gangue de notre inconscient et ne voient jamais le jour. Ainsi, il pourra mener une vie d’adulte plus conscient et s’engager dans la construction d’une société, elle aussi plus consciente et sûrement plus humaine.

Démence de type Alzheimer

M.SM. – 82 ans – Diagnostic: démence de type Alzheimer – Autonomie: personne à stimuler, besoin d’aide – Comportement: souriante – Communication:  difficultés d’élocution. Elle n’accepte pas son entrée récente en maison de retraite

Dans le cadre des maisons de retraite, ou des services de longs et moyens séjours, CAP propose un soutien particulièrement adapté et diversifié aux pathologies présentes en fin de vie.

CAP offre un accompagnement très structuré et codifié, différent des thérapies traditionnelles : cette méthode permet l’expression d’un autre langage, celui du dessin, et s’appuie sur le vécu et l’expérience propres à chaque individu. D’où un effet de réassurance, une mobilisation des potentialités du patient et un mieux être, aussi bien physique que moral.

Description des séances

14 SÉANCES

  • 2 séances de référence, avant et après les séances d’expression graphique sous induction musicale
  • 10 séances d’expression graphique sous induction musicale.

Sous la supervision de Chantal Desmoulins :

  • 1 séance de bilan, avec les résidents
  • 1 séance de bilan, sans les résidents, avec les personnels et la direction pour définir de nouvelles pistes de prise en charge. Le but étant de continuer l’effet de mobilisation opéré par les séances CAP.

CONDITIONS

Les séances ont lieu dans la même salle, chaque mardi à 14h, avec le même groupe de personnes, durant les 13 semaines.

La salle choisie offre de bonnes conditions :

  • sa facilité d’accès
  • sa situation retirée, donc propice à un travail thérapeutique protégé et confidentiel, en rupture avec l’environnement habituel
  • ses proportions adaptées à un travail de groupe.

Pendant les séances, chaque résident est invité à dessiner librement pendant l’écoute musicale. Puis, un temps d’échange est proposé, après l’expression graphique, en fin de séance. Le personnel d’encadrement est parfois amené à stimuler le résident, pour provoquer le mouvement, mais n’intervient pas dans le choix des couleurs ou l’orientation de la feuille et ne donne aucune information sur le programme musical proposé.

Compte tenu de la détérioration cognitive, de l’absence de temporalité du groupe au début des ateliers et des limitations praxiques, il a été nécessaire de simplifier les consignes en étapes courtes — toujours les mêmes — de façon à aider les résidents à se repérer.

Trop de consignes ou d’explications débordent vite la personne en perte de repères : le matériel a donc été réduit à son strict minimum, pour aider chacun à bien se concentrer.

Nous allons regarder le parcours de Mme M.SM

Elle participe aux séances CAP dans un groupe de 8 personnes. Trois et souvent quatre personnels soignants encadrent les séances. La psychologue du service est référente de cette activité.

Les Buts Globaux définis pour ce groupe des résidents :

Ces ateliers ont pour but de dénouer les tensions observées entre les résidents dans leur unité. En proposant un cadre ouvert et sécurisant – hors des contraintes imposées par la cohabitation en lieu de vie fermé – on cherche à créer des conditions de rencontre et de lien de groupe.

Le but spécifique défini pour Mme M.SM: faciliter son intégration au sein du groupe et de l’institution suite à son entrée récente en maison de retraite

Comportement de M.SM  durant les séances :

Elle intègre l’atelier deux semaines après son admission dans l’unité.

Elle a beaucoup de mal à s’adapter. Habitante du village, elle était une personne très active et vivait seule chez elle. Elle avait de nombreuses relations dans sa petite ville.

Les séances jouent aussi, pour elle, son rôle d’espace contenant où elle peut s’exprimer sur les thèmes de la maladie, des souffrances dans sa vie personnelle, des souvenirs importants.

Dès les premières séances, elle a besoin de parler de la réalité de la maladie.

Séance de Référence #1 sans musique:

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CD1 : “ Il faudra bien qu’il y ait quelque chose qui s’anime”, dit-elle… Je suis vieille, ça va pas trop bien là .”

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CD2 : “ La tête, ça va pas. Vous savez, je suis pas bien, c’est la vérité…” Elle exprime un sentiment de fatalité et de solitude : “ J’ai que des garçons qu’est ce que vous voulez…”

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➛ Pourtant dès la troisième séance (CD2), elle commence à trouver de nouveaux repères dans son lieu de vie. Ses fils, en lui disant qu’ils venaient la voir chez elle, ont renforcé le sentiment de réassurance de leur mère. Et, dès lors, elle ne formule plus le souhait de retourner chez elle.

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➛ Elle prend le groupe à témoin de ses émotions (CD4). “ Je suis mal, je pleure ”…(CD5). “ Je ferai que pleurer moi ” (CD6).

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Elle prend part à la vie de l’unité. Les soignants ont relevé qu’elle soutenait les autres, parfois. Même si elle continue à se sentir mal, on observe une continuité dans son discours et une capacité à relier les événements entre eux.

➛ À partir de la 8e séance (CD7), on observe moins de demandes; elle a beaucoup plus de repères. Elle s’apaise beaucoup et interagit. Par exemple, elle vient voir ce qui est noté sur son cahier au moment de la synthèse, avec une expression de curiosité et de bienveillance. Elle communique aussi beaucoup plus avec les autres résidents.

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➛ Lors de la 9e séance (CD8), elle exprime sa solitude, sa souffrance, le deuil à faire de son ancienne situation : “ Je suis seule… comment mes fils savent que je pleure tous les jours ?… Je n’ai rien dans la tête, je ne peux pas dessiner aujourd’hui…” Elle pleure, se cramponne à son mouchoir.

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➛ Lors de la 10e séance (CD9), elle semble tisser de nouveaux liens : “ On s’amuse, comme quand on allait à l’école. Je suis toute seule. Heureusement que j’ai des voisins. Sinon je deviendrai — geste vers sa tête désignant la folie… Y-en a qui sont de mon âge. J’ai même une copine ici. ”

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➛ Lors de la dernière séance — Séance de Référence #2 sans musique — elle plie le coin de la feuille, où elle a pu déposer son sentiment de solitude et elle conclut : “ Ça va, je ne suis pas toute seule, comme ça. Et je pleure. Quand on a vu quelqu’un, ça va un peu mieux. J’ai vu du monde. ” Son attitude détendue, souriante et sa capacité à demander de l’aide, montrent qu’un passage a été franchi, après cette dernière séance, sans musique.

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Fiche d’observation:

Les yeux sont ouverts, pratiquement tout le temps. On relève beaucoup de mécanismes de défense chez cette dame. Elle traduit, cependant, une grande réceptivité à la musique et réussit à se détendre sur les CD 3, 4 et 8.

Synthèse du Test de l’Espace:

Dans le pré-test, on relève dans la zone haut-gauche (zone d’inhibition, refoulement, nostalgie) un rond supplémentaire et vide qui confirme la souffrance de Mme M-S M. et son sentiment de ne plus se sentir maîtresse de sa vie. La feuille, placée horizontalement, semble être une confirmation supplémentaire. Le pli de la feuille, bien marqué, et la place des ronds sur les axes indiquent, cependant, que cette dame est capable d’un positionnement clair.

Dans le post-test, ce rond supplémentaire a disparu. Les 5 ronds sont cerclés comme si elle s’était construit une carapace de protection. La taille des ronds se régularise. La feuille est maintenant placée verticalement et traduit un redressement intérieur.

Synthèse du Questionnaire d’Auto-Evaluation:

Le pré-test montre un positionnement. Elle exprime, ne refoule pas son mal-être identifié.

Echelle de dépression importante :

  • L’item “ Je me suis sentie triste ”, réponse : “ de façon continue ”
  • L’item “ J’ai eu du mal à me concentrer ”, réponse : “ souvent ”
  • L’item “ Je pensais que ma vie était un échec ”, réponse : “ souvent ”
  • L’item “ J’étais confiant(e) en l’avenir ”, réponse : “ jamais ”

Dans le post-test, on relève une nette amélioration de tous les items dans l’échelle de l’humeur, puisqu’il n’y a plus rien dans la réponse “ de façon continue ”.

  • Pour l’item “ Je me suis sentie triste ”, la réponse est maintenant : “Quelquefois ”. Elle a même hésité à répondre “ Jamais ” (elle a mis une croix, puis elle l’a barrée).
  • Pour l’item “ J’ai eu du mal à me concentrer ”, la réponse est maintenant:  “Quelquefois ”
  • Pour l’item “ Je pensais que ma vie était un échec ”, la réponse est maintenant : “ Jamais”
  • Pour l’item “ J’étais confiant(e) en l’avenir ”, la réponse est maintenant : “Quelquefois ”

De tout le groupe, M.SM est celle qui diversifie le plus ses réponses.

Synthèse des Dessins :

M.SM a beaucoup utilisé, dans ses dessins, la zone HG — zone dans laquelle elle a placé un rond vide dans le test de l’Espace. Cela semble indiquer le poids d’événements douloureux et conflictuels dans le passé, qu’elle a tentés d’oublier.

Les séances, avec CAP, lui ont permis de revisiter ses souvenirs douloureux, sans avoir à passer par un processus d’élaboration consciente pénible.

M.SM dessine des chats, tout au long de sa série. Symboliquement, des conduites et des comportements qui sont devenus des habitudes, apprises dans la famille, dans le milieu professionnel, et qui ont pu être sources d’épreuves. On peut suivre l’évolution des chats, au fil des dessins:

CD1 : chat rétréci avec des moustaches (antennes) noires, montrant qu’elle perçoit les choses en termes d’anxiété — blessures anciennes qu’elle a refoulées et qu’elle va explorer, en douceur, tout au long des séances avec CAP.

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CD2 : chat noir, hérissé, hagard, qui confirme les coups pris tout au long de l’existence. La position, gauche, du chat traduit bien que le passé est revisité subconsciemment dans une forme détournée qui évite une trop grande souffrance.

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CD3 : Le chat s’humanise et passe dans la zone droite. M.SM projette maintenant sur la feuille de dessin des habitudes en transformation.

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CD4 : On remarque l’amorce d’un sourire d’un chat rouge aux yeux bleus, toujours dans la zone HG : blessure secrète ancienne, qui commence à être acceptée (le sourire traduit l’apaisement en cours). Cette vision, qui se clarifie, permet d’aborder les conséquences de ces blessures: un autre chat marron est dessiné avec la patte arrière gauche noire, comme une blessure : la résidente traduit symboliquement une blessure émotionnelle qui a pu être un handicap, dans son parcours de vie.

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➛ Du CD5 au CD10, elle explore différents aspects d’elle-même, le dessin s’enrichit, les couleurs varient. Elle écrit davantage.

➛ Enfin, dans le Dessin de Référence n°2, on retrouve le chat marron du CD4. Cette fois, il a de belles moustaches colorées et la patte arrière gauche est réparée. La queue, aussi, s’est redressée, confirmant le re-positionnement intérieur de M.SM.

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Synthèse des Verbalisations

L’observation du graphique fait apparaître, sans ambiguïté, l’importance des réponses affectives.

M.SM. exprime clairement ses émotions : “ Je suis triste… Je suis seule ”. Elle exprime aussi clairement son mal-être physique : “ J’ai mal à la tête… Je ne suis vraiment pas bien”.

C’est à la toute fin du processus que ces réponses évoluent : “ Ça va, je ne suis pas toute seule comme ça… Quand on a vu quelqu’un, ça va un peu mieux. J’ai vu du monde ”.

Le bilan de M.SM. :

Elle prend un air malicieux, en voyant tous ces chats : “ Oh… je sais pas, il y a un chat ! ” et demande : “ Alors, qui a fait ces dessins ? ” Une autre résidente la désigne et elle se met à rire de bon coeur.

Durant ce bilan, M.SM manifeste un ensemble de résistances, confirmant nos hypothèses précédentes : elle ne peut aborder certaines choses que de façon détournée, les soignants veillant donc à bien respecter son rythme et à ne rien brusquer.

Il est intéressant de noter que ses résistances sont perçues par une autre résidente, France, qui l’encourage à s’ouvrir : “ Mais tu vas apprendre quelque chose ! ”

Dynamique de groupe intéressante qui s’instaure. M.SM. commence à écouter et s’étonne : “ Et c’est moi qui ai fait tout ça ? ” Toujours très présente, une autre résidente, France, qui regarde attentivement ses dessins, s’exclame : “ Ah c’est formidable, vous savez ! ”

Peu à peu, M.SM. commence à livrer quelques souvenirs de sa vie, rattachée aux animaux qu’elle a eus. Puis, elle se détache du premier niveau et, à l’évocation de possibles lourdes épreuves de son existence, elle confirme “ Oh oui…” Elle est captivée par tout ce qui se dit — ainsi que tout le groupe — comme si la magie d’un conte de fée, qui se raconte à travers les dessins, englobait l’histoire de chacun et, du même coup, reliait tout le monde. C’est encore France qui conclut, émerveillée:  “ Ah ça, je l’avais compris ! ”

En fin de bilan, M.SM. reste silencieuse. Au sortir de la salle, elle prend les deux mains d’une soignante, plante son regard dans le sien et, en souriant, pousse un profond soupir, les yeux embués.

CONCLUSION

L’objectif personnel, fixé pour M.SM est atteint. Elle a su utiliser l’atelier CAP comme espace transitionnel, où elle a pu déposer le deuil de son ancien mode de vie pour en intégrer un nouveau.

Elle était en état de choc et de refus, suite à son entrée récente en maison de retraite. Elle est maintenant adaptée à l’unité de soins, où elle vit en bonne harmonie avec les autres.

À chacun ses pensées

Un monde étrange et fascinant

Je ne sais pas pour vous, mais en ce qui me concerne, je me souviens de moment précis où j’ai pris conscience que j’étais une personne à part entière, différenciée du monde environnant.

J’ai entre 4 et 6 ans et je joue. A côté de moi, des adultes conversent de façon animée. Je ne sais pas par quel mystère, en une fraction de seconde, je réalise soudain que les mots et les images dans ma tête existent et me sont propres.

Avant, elles étaient là sans que j’en ai conscience et tout à coup, elles prennent vie et me séparent des autres et des choses. Pour la première fois, il y a un intérieur et un extérieur. Je perçois un autre monde rempli de pensées, d’images hétéroclites, un monde étrange et fascinant. Je me sens attirée, bien malgré moi, telle Alice au pays des Merveilles, dans un monde nouveau et inconnu. Je n’ai pas de repères et je navigue à vue mais je ne suis pas inquiète. 

Je commence ce voyage dans ce nouvel univers, sans peur aucune. Je me sens guidée dans une voie à la rencontre de moi-même et des autres devenus soudain des étrangers et qu’il me faut retrouver, mais différemment. La route sera longue mais cet instant, lui, s’est  inscrit, comme un moment de paix et de clarté, de lucidité paisible, de sagesse que je ne l’ai pas si souvent éprouvé par la suite.

Retour sur terre

Retour sur terre, pour mon petit cerveau d’enfant, cette plongée métaphysique est bien intense ! Je n’en continue pas moins, avec mon âme d’expérimentatrice, à explorer ma soudaine compréhension. Je vais voir l’un et l’autre et demande à quoi ils pensent, juste maintenant. Aucune pensée ne se ressemble. J’ai ma confirmation !

Une fleur à la main je pars en quête de ce que voient les autres.  Nouvelle surprise, aucune description ne se ressemble. « Ta fleur est jolie, elle a une grande tige avec de larges feuilles », « J’aime les pétales oranges de ta belle fleur », « Oh, ça fait drôle, le noir dans ta fleur, on dirait qu’elle a mangé du chocolat »…

Mes idées s’emballent, d’où viennent toutes nos pensées, nos perceptions ?

Et si chaque personne est un monde en soi — et il y a beaucoup de gens sur la terre— quel est le grand réservoir qui alimente tout cela. Je me demande si cela vient du ciel et je regarde les nuages. Je me dis que c’est peut-être eux qui contiennent nos pensées. J’en arrive pourtant vite à la conclusion que ça ne tient pas la route, car il n’y a pas toujours des nuages et en tout cas pas assez pour chaque humain.

C’est trop pour aujourd’hui ! Je suis épuisée et je sais que je ne peux trouver réponse à toutes mes questions.

Mes comptines adorées

Pour m’apaiser, comme je le fais toujours, je vais écouter mes comptines sur mon tourne disque. J’adore écouter mes disques, et spécialement celui où je place une sorte de cylindre multi facettes, recouvert de miroirs qui reflètent et animent, en tournant, les images d’animaux dessinées sur le disque. Associé aux comptines, ce mouvement répétitif a le pouvoir de me calmer et de me rassurer, il canalise mon mental. Pas de surprise, je sais exactement quelle image va se produire et à quels moments, pas besoin de réfléchir, juste d’observer.

Mais ce n’est juste que pour un temps.
Je me méfie déjà des choses qui tournent en rond. Alors quand, apaisée je ferme les yeux, les images continuent à tourner et à se répéter jusqu’au moment où elles s’ajustent sur une spirale. Les petits animaux ne tournent plus en rond, ils s’élèvent sur une spirale ascendante dans un mouvement qui ne finit jamais.

Des moments qui transcendent tout

Je m’endors, enchantée. Je préfère les choses qui ne tournent pas en rond. L’assurance de tant de découvertes me donne l’envie de grandir, la force de vivre et l’élan d’apprendre. Ce vécu est le point de départ, je pense, de mon besoin de me regarder sans peur, de comprendre les autres pour mieux les respecter.

Dans toutes mes rencontres, j’ai ce réflexe de sentir en chacun l’étincelle d’intuition qui a lancé leur être et le mouvement de leur existence. Certains en sont si loin, qu’ils sont perdus et misérables. D’autres la renient avec force et sont prêts à tout pour échapper à son souvenir. D’autres, au contraire, l’ont laissée filer mais la recherchent avec passion ou patience. Tout cela tisse un jeu de rencontres souvent compliquées et faussées, parfois passionnantes.

J’ai la chance de vivre dans mon travail des moments de grande authenticité, moments qui transcendent tout, embellissent tout.

Et puis, il y a les belles et rares rencontres avec ceux qui se souviennent et savent faire vibrer les cordes magiquement accordées de leur instrument, leur vie. Je suis heureuse et reconnaissante d’avoir rencontré de telles personnes sur mon chemin. Elles m’ont permis, et me permettent encore, d’entretenir mon étincelle de vie originelle et d’avancer sur une route pavée d’obstacles, sans jamais me sentir perdue.

Histoire sans mot

La vie est étrange

En préparant ma vidéo sur les symboles et leur capacité à relier les choses entre elles, il m’est revenu un épisode curieux de mon histoire. Une rencontre étrange qui durant plusieurs années m’a beaucoup questionnée.

J’étais étudiante. Ce jour-là était un jour de grève, une grève importante avec des manifestations massives. Je n’ai jamais aimé ce climat d’affrontement généré lors des manifestations. J’observais la rangée d’étudiants face à celle des CRS et remarquais l’un d’entre eux qui, casque levé, s’épongeait le visage. Il était très jeune, aussi jeune que les étudiants.

Mal à l’aise et très perturbée par cette violence environnante, et méditant sur l’absurdité de ce conflit, je sentais l’air imprégné par ce climat de revendication. L’ambiance était explosive et tous les instincts les plus sombres semblaient pouvoir surgir d’un coup tel un diable de sa boîte. Accrochée à mon cartable — je dois dire que mon cartable était l’équivalent du téléphone portable d’aujourd’hui, en plus lourd il est vrai ! Ma vie était dans ce cartable, je crois que si j’avais pu, j’aurais dormi avec —  j’avançais dans les rues, vigilante et essayant d’écouter ce qui se tramait, vraiment perplexe, et m’interrogeant sur mes propres choix, mes valeurs, la direction que je voulais donner à ma vie. Ce monde là, n’était pas mon monde mais où était mon monde?

Immergée dans mes pensées, au milieu d’une rue que je traversais, je croisai un homme d’une quarantaine d’année, caméra et gros sac de reporter sur les épaules. Ce devait être un journaliste qui couvrait l’événement. Petite quarantaine, il avait le profil des amis d’extrême gauche que mon père fréquentait en mai 68. En passant, à sa hauteur, je le regardai et sans savoir pourquoi, je m’arrêtai, laissai tomber mon cartable et le regardai la bouche ouverte. Un peu interloqué, cet homme poursuivit sa route. Je repris mon cartable et oubliai l’événement.

Quelques semaines plus tard, nouvelle grève, et la même scène se reproduisit. Dans une autre rue que je traversais, au milieu du passage piéton, je retrouvai le même homme et à nouveau mon cartable me tomba des mains, je m’arrêtai et le regardai bouche bée. Visiblement, il se souvenait de la scène mais nous passâmes notre chemin sans nous parler.

Rencontres programmées

Pendant trois ans, tous les trois ou quatre mois et toujours de la même façon, lui avançant dans une direction et moi dans une autre, je rencontrais cet homme. J’ai quand même fini par ne plus lâcher mon cartable à chaque rencontre ni rester bouche bée ! On ne faisait que se croiser, se regardant furtivement, interrogatifs mais distants, sans jamais se dire un mot ni même se sourire. Deux univers étrangers, se croisant, sans savoir pourquoi.

Certaines de ces rencontres furent pourtant vraiment insolites. J’étais un jour dans le Sud de la France et rentrais chez moi en train. Le train était bondé et je me faufilais à toute vitesse pour trouver une place, dans la crainte de faire le voyage debout. Un homme arrivait dans l’autre sens visiblement aussi soucieux que moi de trouver une place. Situation de survie, il fallait que je trouve une place avant lui ! Toute mon attention était concentrée sur cette place assise. Il me la fallait à tout prix!

Par miracle, j’ouvris la porte d’un compartiment,  il restait deux places, je m’assis soulagée et l’homme pris place en face de moi. C’était lui ! Nous étions donc face à face dans un endroit confiné durant plusieurs heures. Tous les autres passagers échangeaient, discutaient du climat effervescent du jour — je ne me souviens plus des circonstances, mais là encore il y avait un climat collectif agité. Lui et moi, nous regardions de temps à autre, toujours assez froidement et malgré l’étrangeté et le caractère énigmatique de cette nouvelle rencontre qui auraient pu provoquer un échange, nous nous taisions, graves et imperturbables, suspendus dans un autre espace-temps. C’est comme si nous étions les personnages d’un conte ayant reçu l’injonction impérieuse de ne pas nous parler. C’était une histoire sans mot qui n’avait de sens que dans ce silence et dans cet espace mystérieux auquel nous appartenions tous deux, et qui semblait méthodiquement organiser ces rencontres, pour un but qu’il nous faudrait comprendre chacun séparément.

Nous sommes descendus du train et sommes partis dans des directions opposées, lui à gauche, moi à droite.

Le caractère sacré des ces circonstances

J’ai fini par quitter ma ville universitaire et j’ai déménagé dans une autre ville avec une idée maintenant plus claire de ma destinée. Le premier jour de mon arrivée dans cette nouvelle ville, je décidai de partir marcher pour repérer les lieux. Après une bonne heure de découverte de mon nouvel univers, fatiguée et soudain inquiète de mon futur, je fus attirée par une petite rue dans laquelle je m’engageai. Là, une voiture semblait en panne avec trois hommes affairés autour, visiblement en train de la réparer. Les deux premiers me saluèrent d’un signe de tête et me sourirent, quant au troisième, il finit par lever la tête du capot de la voiture pour me regarder. Encore lui !

Me voilà dans une toute autre ville, dans un quartier non central, à nouveau dans une phase d’interrogations existentielles, et le voilà qui surgit à nouveau de nulle part ! Là, j’étais vraiment stupéfaite et interpellée et lui aussi visiblement plus surpris que toutes les autres fois. Nous nous regardâmes, toujours sans un mot ni-même un sourire, mais un regard profond, authentique reflétant à la fois le mystérieux secret qui nous reliait et l’acceptation de ce mystère. Et visiblement déterminés, l’un, et l’autre à ne pas rompre le caractère quasi sacré de cette rencontre.

J’ai continué ma route en entendant ses amis lui poser des questions sans qu’il leur réponde. Et j’ai souri, profondément reconnaissante, qu’il ait accepté cette injonction de silence qui semblait nous lier. Je ne pouvais pas entendre sa voix — et je n’aurais voulu pour rien au monde l’entendre — comme si rompre le caractère surnaturel de ces rendez-vous programmé eût été un sacrilège.

Epilogue

La dernière rencontre s’est faite quelques mois plus tard. Nous marchions sur une place, toujours selon le même protocole, lui dans un sens et moi dans l’autre. Pour la première fois, nous étions assez loin l’un de l’autre, chacun à un bout de cette grande place, mais visiblement nous nous sommes reconnus au même moment. Quand nous sommes arrivés à la même hauteur mais donc à distance, nous nous sommes arrêtés quelques secondes, avons échangé un dernier regard, un au revoir. J’ai su immédiatement que c’était la dernière rencontre. Ce fut le cas.

Je ne me suis pas retournée et je suis sûre que lui non plus. Et je me suis sentie légère, libérée, j’avançais vers la droite et tous les possibles me semblaient permis.

La nuit, j’ai fait un rêve, un de ces rêves rares mais récurrents qui ont toujours marqué une étape de changement positif dans ma vie. Et dans les mois suivants, ma vie a en effet pris un cours différent, comme si j’avais pu faire un choix, un choix qui a marqué une étape dans ma marche vers l’adultat.

Décodage

Quelle injonction intérieure a permis ce déroulement?

Pour lui, je ne sais pas, mais en ce qui me concerne, j’ai relié certains épisodes de mon histoire et compris, grâce à cet homme, le conflit qui se jouait en moi me faisant avancer dans deux directions différentes. Il était sur ma route pour me signaler mes ambivalences et mes hésitations sources de souffrance d’où le fait que nous nous croisions, chacun allant toujours dans une direction opposée. Jusqu’à ce que, après maturation, une décision inconsciente s’opère en moi et m’autorise à un choix de vie clair.  D’où une rencontre finale, libératrice, simple…

Pourquoi lui? j’ai quelques éléments de réponse, mais le plus important c’est l’évolution de nos rencontres.  Extérieurement, nos différences étaient visibles et reflétaient deux réalités opposées: nous n’étions pas du même monde. Nous aurions pu nous détester. Mais peu à peu, autre chose s’est mise en place, le mystère et l’insolite ont remplacé les jugements et les préjugés et je crois sincèrement que nous avons appris tous deux la tolérance, l’acceptation de deux destinées opposées mais pourtant reliés dans une rencontre d’âme à âme, qui nous a profondément changé et libéré.

Le cadeau magique

« Devine ou je te dévore »

Dans ces chroniques, je vais revisiter certains épisodes clefs de ma vie, en essayant de montrer le décodage que j’ai pu en faire, soit immédiatement soit avec le temps. Positifs ou négatifs ce sont tous des cadeaux qui ont jalonnés mon parcours.

En effet, les souvenirs marquants de notre existence ne sont pas là par hasard et ils sont porteurs d’une leçon de vie qui peut nous accompagner dans notre processus de croissance. Qu’ils soient positifs ou douloureux, ces souvenirs deviennent les pierres fondatrices de qui nous sommes. Et leur décodage symbolique leur donne un sens, quasi sacré. Quand on arrive à donner du sens à un vécu, seul, au travers d’un livre, d’une oeuvre artistique, grâce à un ami ou un thérapeute, l’empreinte douloureuse s’efface et laisse place à un sentiment de libération et d’expansion.

« Devine ou je te dévore» a dit le Sphinx.

Depuis l’enfance, je préfère me cogner à l’énigme du décodage, plutôt que d’être dévorée par les épreuves, les incompréhensions de l’existence.

Dès que je me mets à réfléchir à mes vécus, beaucoup de choses se bousculent dans ma tête, car ma vie est riche d’épisodes à la fois tous simples et très intenses.

Aujourd’hui, j’ai donc laissé venir naturellement celui qui s’imposait.

Une enfant difficile

Je n’ai pas été une enfant facile, à bien des égards, et ma communication avec les autres n’a jamais été simple. J’étais très directe, ne filtrais rien de ce que je pensais et notamment j’avais beaucoup de mal à accepter les cadeaux. Rien ne me plaisait.

Et au lieu de remercier, je commentais en général en quoi ce cadeau était insatisfaisant, mal choisi, fait sans intention consciente. Je rejetais les présents, sans m’occuper et sans voir la souffrance que je pouvais générer.

Pourtant, quelques présents échappaient à ce rejet car j’arrivais à ressentir l’intention bienveillante de la personne qui me l’offrait.

Un jour, lors d’une réunion de famille, je devais avoir 13 ou 14 ans, un membre de ma famille, une tante je pense, revient de courses et commence à distribuer un cadeau à chacun. Nous étions six ou sept et chacun recevait et ouvrait son petit, ou plus grand, cadeau. C’était joyeux et très sympathique ce mélange d’enfants et d’adultes, tous sous le charme de ce moment d’échange et de surprises.

Les cadeaux étaient bien choisis, certains objets très jolis. Les papiers cadeaux s’amoncelaient sur la table, les rires et plaisanteries remplissaient la pièce.

Humiliation

Dans cette ambiance, j’ai senti que je m’ouvrais, moi si souvent solitaire et sur la réserve, je lâchai la garde, prête à plonger de tout mon être dans ce moment de bonheur simple.

Tout le monde ayant reçu son cadeau.  Mon tour arrive enfin et je suis dans l’attente de la découverte, souriante et gaie ; ce qui n’était pas souvent le cas.

Ma tante se tourne alors vers moi et me dit: « Rien pour toi, évidemment. Je sais que tu n’aimes pas les cadeaux»

Je ne peux décrire l’effet d’humiliation, de dévastation et de solitude ressentie en cet instant. Très fière, je refusai de pleurer et je ressens encore cette boule dans la gorge.

Je ne sais toujours pas comment j’ai réussi à réprimer mes larmes.

Au delà de l’absence de cadeau, c’est le ton cinglant, méprisant et profondément méchant qui m’a heurté de plein fouet. Aucun membre de la famille ne m’a pas prêté attention à ce moment là, chacun occupé dans l’appréciation et l’échange.

Je regardai cette validation collective de rejet et je me demandais comment j’allais pouvoir continuer à vivre.

Gratitude

J’ai senti alors une petite main se glisser dans la mienne: ma petite voisine de 7 ans, dont je m’occupais beaucoup était présente aussi, ce jour-là. Elle-même avait reçu également un petit jouet.

Elle me regarda tendrement en disant: « Moi je t’aimerai toujours » Et elle me tendit un petit papier sur lequel elle venait de dessiner, à la hâte, un soleil et une fleur qui parlait: 

« Je t’aime ma Chantou». Il était là mon cadeau !

J’ai donc reçu ce jour-là un double cadeau, bien plus profond que le plus bel objet que j’aurais pu recevoir. Cette petite fille qui, du haut de ses 7 ans, a su capter ma détresse et tout ce qui se jouait à ce moment-là, m’a bouleversée et m’a mise sur mes rails.

Je n’étais pas parfaite et pas forcément un objet d’amour pour les autres, avec mon côté revêche, mais je savais que les enfants que j’aimais tant, seraient toujours là sur ma route pour donner du sens à ma vie.

Je savais qu’en les aidant, en les aimant, je pourrais moi-même grandir, changer, mieux me comprendre. C’est ce que j’ai fait.

Ma tante n’avait pas tort, dans le fond. Et cette leçon donnée, sans amour, je la méritais certainement. Il m’a fallu voir, tout au long de ma vie, comment moi-même j’ai pu agir sans amour et sans compréhension des autres.

La trace de ce vécu m’a aidée à me remettre en question et à rectifier mes attitudes intransigeantes.

Merci donc aussi à cette tante !

La fonction libératrice de l’imaginaire

Nous sommes de l’étoffe dont les songes sont faits — Shakespeare

La fonction d’imagination ‘’maîtresse d’erreur et de fausseté’’

Gilbert Durand dans l’Introduction de son livre de référence « Les Structures anthropologiques de l’imaginaire» écrit «La pensée occidentale et spécialement la philosophie française a pour constante tradition de dévaluer ontologiquement l’image et psychologiquement la fonction d’imagination ‘’maîtresse d’erreur et de fausseté’’ »

La psychologie classique, contrairement à ce qu’on aurait pu penser, n’a pas été plus positive concernant l’imaginaire qui reste étudié, par certains courants, comme l’enfance de la conscience.

L’imaginaire est donc dévalué, l’imagination est rejetée, la fécondité des images est minimisée. Les images sont, en fait, analysées comme un résidu secondaire de notre vie consciente dans une tentative de trouver un fondement matériel à la fonction symbolique et à l’inconscient.  Cette réduction de la signification des images tend à les ramener dans le champ de la conscience par l’intermédiaire du langage et de la parole. Le symbole, confondu avec les métaphores, les allégories, les emblèmes et les signes perd ainsi de sa puissance transformatrice.

Une énergie qui libère et qui a une fonction profondément cathartique

Un autre courant de la psychologie a essayé de rendre compte de l’imagination comme un dynamisme organisateur des images. Dynamisme qui devient le fondement de notre vie psychique et qui est facteur de cohésion, c’est-à-dire d’harmonie, de solidité, d’authenticité. L’imaginaire n’est alors plus observé comme un recueil d’images isolées les unes des autres et sans grande cohérence, mais comme une combinaison complexe d’éléments, tous reliés entre eux. Dans cette perspective, l’imagination, bien loin d’être un simple produit de refoulement, comme a tenté de la présenter une partie de la psychanalyse, est, au contraire, une énergie qui libère et qui a une fonction profondément cathartique. Révélatrice de vérités, elle cache des trésors, est le lieu absolu de la créativité.

La voie de l’anthropologie

À la lumière de ces premières réflexions, il est facile de comprendre, comme l’écrivait Gilbert Durand « que, pour étudier «in concreto» le symbolisme imaginaire il faille s’engager résolument dans la voie de l’anthropologie en donnant à ce mot son sens plein actuel — c’est-à-dire: ensemble des sciences qui étudient l’espèce homo sapiens …»

En fondant le Centre de Recherche sur l’imaginaire, Gilbert Durand a permis la création d’un mouvement pluridisciplinaire qui encourage et poursuit la position anthropologique qu’il avait lui-même choisie, à savoir étudier le symbolisme d’un point de vue psychanalytique, psychologique,  sociologique, historique, biologique, mythologique, poétique, artistique…

On voit bien que tous les chercheurs qui fondent leur méthode sur cette approche sont amenés à questionner les rapports, à la fois antithétiques et complémentaires, entre imaginaire et rationalité, entre rêve et réalité. Tous arrivent à la même démonstration que l’imagination est à la base de la construction de nos sociétés, de nos institutions, de nos modèles familiaux, de l’expression artistique d’une époque, de la façon dont l’homme se pense, de nos modèles scientifiques, en un mot de nos cultures.

L’hypothèse de Gilbert Durand, et de ceux qui ont repris la suite de son travail, est que nous sommes baignés dans un imaginaire, un climat, une ambiance qui nous imprègne et qui fait ce que nous sommes. L’éducation (école, parent), la culture, les institutions politiques et culturelles impriment en nous des schémas de pensées que nous prenons pour le réel.

Si nous ne prenons pas conscience en tant qu’individu de l’imaginaire de notre époque, nous ne pensons pas la vie, nous sommes pensés par elle. Et nous n’allons pas chercher les solutions à notre mal être, à nos souffrances, à nos questionnements là où l’on pourrait réellement les trouver – à savoir à l’intérieur de nous-mêmes. 

Chaque époque rêve la suivante

Nous sommes actuellement à la croisée des chemins, nous appartenons à une civilisation dite moderne (17e siècle jusqu’au 20e siècle) qui, comme toutes celles qui nous ont précédés, est arrivé à son terme, sans que la suivante ait encore complément émergée.

Walter Benjamin, philosophe allemand, écrivait: « chaque époque rêve la suivante» Mais qui est en train de rêver la nôtre? S’il n’y a pas un travail individuel de recherche de sens, de compréhension de notre évolution psychique, une nouvelle culture risque d’émerger sans que nous en soyons acteur.

Elle sera plus technologique, ce sera peut-être celle du «transhumanisme» qui promet l’homme amélioré puis l’homme augmenté. Mais, tout augmenté qu’ils seront, les humains continueront à être pensés par cette nouvelle civilisation, donc à subir, sans prise de conscience réelle de ce qu’ils sont vraiment. Et ils échapperont ainsi à cette belle mission de devenir des humains accomplis, solidaires et créateurs. 

Dans la phase de transition que nous vivons, la discordance entre ce qui est vécu par chacun et ce qui est véhiculé par nos institutions (politiques, culturelles, médiatiques) est à son comble. Pourtant le terreau d’un autre futur prend corps au travers de prise de conscience, d’organisation sociétale et de regroupement différents, notamment grâce à Internet. Jung au début du 20e siècle écrivait déjà: «  Quand une culture a atteint son apogée, apparaît tôt ou tard, l’échéance de sa dissolution. La décomposition apparemment insensée et désolante en une multiplicité sans ordre ni orientation, capable d’inspirer le dégoût et la désespérance, contient dans son giron obscur le germe d’une lumière nouvelle.»

Donc face à la réponse du tout technologique qui se profile,  je vous propose, dans ce blog, de retrouver certains fondamentaux, au travers des mythes, des contes, des légendes, des symboles et archétypes.  Toute cette matière, en effet, nourrit les rêves, là où résident des graines d’éternité qui pourraient bien engendrées les magnifiques arbres de notre futur.

“ Nous sommes de l’étoffe dont sont faits les rêves» écrivait Shakespeare dans sa pièce ‘La tempête’. Le monde est peut-être bien, quant à lui, le reflet de nos rêves. À nous donc de rêver plus juste et plus beau, sans laisser le sommeil de notre insouciance engloutir nos inspirations.

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