M.SM. – 82 ans – Diagnostic: démence de type Alzheimer – Autonomie: personne à stimuler, besoin d’aide – Comportement: souriante – Communication:  difficultés d’élocution. Elle n’accepte pas son entrée récente en maison de retraite

Dans le cadre des maisons de retraite, ou des services de longs et moyens séjours, CAP propose un soutien particulièrement adapté et diversifié aux pathologies présentes en fin de vie.

CAP offre un accompagnement très structuré et codifié, différent des thérapies traditionnelles : cette méthode permet l’expression d’un autre langage, celui du dessin, et s’appuie sur le vécu et l’expérience propres à chaque individu. D’où un effet de réassurance, une mobilisation des potentialités du patient et un mieux être, aussi bien physique que moral.

Description des séances

14 SÉANCES

  • 2 séances de référence, avant et après les séances d’expression graphique sous induction musicale
  • 10 séances d’expression graphique sous induction musicale.

Sous la supervision de Chantal Desmoulins :

  • 1 séance de bilan, avec les résidents
  • 1 séance de bilan, sans les résidents, avec les personnels et la direction pour définir de nouvelles pistes de prise en charge. Le but étant de continuer l’effet de mobilisation opéré par les séances CAP.

CONDITIONS

Les séances ont lieu dans la même salle, chaque mardi à 14h, avec le même groupe de personnes, durant les 13 semaines.

La salle choisie offre de bonnes conditions :

  • sa facilité d’accès
  • sa situation retirée, donc propice à un travail thérapeutique protégé et confidentiel, en rupture avec l’environnement habituel
  • ses proportions adaptées à un travail de groupe.

Pendant les séances, chaque résident est invité à dessiner librement pendant l’écoute musicale. Puis, un temps d’échange est proposé, après l’expression graphique, en fin de séance. Le personnel d’encadrement est parfois amené à stimuler le résident, pour provoquer le mouvement, mais n’intervient pas dans le choix des couleurs ou l’orientation de la feuille et ne donne aucune information sur le programme musical proposé.

Compte tenu de la détérioration cognitive, de l’absence de temporalité du groupe au début des ateliers et des limitations praxiques, il a été nécessaire de simplifier les consignes en étapes courtes — toujours les mêmes — de façon à aider les résidents à se repérer.

Trop de consignes ou d’explications débordent vite la personne en perte de repères : le matériel a donc été réduit à son strict minimum, pour aider chacun à bien se concentrer.

Nous allons regarder le parcours de Mme M.SM

Elle participe aux séances CAP dans un groupe de 8 personnes. Trois et souvent quatre personnels soignants encadrent les séances. La psychologue du service est référente de cette activité.

Les Buts Globaux définis pour ce groupe des résidents :

Ces ateliers ont pour but de dénouer les tensions observées entre les résidents dans leur unité. En proposant un cadre ouvert et sécurisant – hors des contraintes imposées par la cohabitation en lieu de vie fermé – on cherche à créer des conditions de rencontre et de lien de groupe.

Le but spécifique défini pour Mme M.SM: faciliter son intégration au sein du groupe et de l’institution suite à son entrée récente en maison de retraite

Comportement de M.SM  durant les séances :

Elle intègre l’atelier deux semaines après son admission dans l’unité.

Elle a beaucoup de mal à s’adapter. Habitante du village, elle était une personne très active et vivait seule chez elle. Elle avait de nombreuses relations dans sa petite ville.

Les séances jouent aussi, pour elle, son rôle d’espace contenant où elle peut s’exprimer sur les thèmes de la maladie, des souffrances dans sa vie personnelle, des souvenirs importants.

Dès les premières séances, elle a besoin de parler de la réalité de la maladie.

Séance de Référence #1 sans musique:

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CD1 : “ Il faudra bien qu’il y ait quelque chose qui s’anime”, dit-elle… Je suis vieille, ça va pas trop bien là .”

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CD2 : “ La tête, ça va pas. Vous savez, je suis pas bien, c’est la vérité…” Elle exprime un sentiment de fatalité et de solitude : “ J’ai que des garçons qu’est ce que vous voulez…”

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➛ Pourtant dès la troisième séance (CD2), elle commence à trouver de nouveaux repères dans son lieu de vie. Ses fils, en lui disant qu’ils venaient la voir chez elle, ont renforcé le sentiment de réassurance de leur mère. Et, dès lors, elle ne formule plus le souhait de retourner chez elle.

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➛ Elle prend le groupe à témoin de ses émotions (CD4). “ Je suis mal, je pleure ”…(CD5). “ Je ferai que pleurer moi ” (CD6).

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Elle prend part à la vie de l’unité. Les soignants ont relevé qu’elle soutenait les autres, parfois. Même si elle continue à se sentir mal, on observe une continuité dans son discours et une capacité à relier les événements entre eux.

➛ À partir de la 8e séance (CD7), on observe moins de demandes; elle a beaucoup plus de repères. Elle s’apaise beaucoup et interagit. Par exemple, elle vient voir ce qui est noté sur son cahier au moment de la synthèse, avec une expression de curiosité et de bienveillance. Elle communique aussi beaucoup plus avec les autres résidents.

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➛ Lors de la 9e séance (CD8), elle exprime sa solitude, sa souffrance, le deuil à faire de son ancienne situation : “ Je suis seule… comment mes fils savent que je pleure tous les jours ?… Je n’ai rien dans la tête, je ne peux pas dessiner aujourd’hui…” Elle pleure, se cramponne à son mouchoir.

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➛ Lors de la 10e séance (CD9), elle semble tisser de nouveaux liens : “ On s’amuse, comme quand on allait à l’école. Je suis toute seule. Heureusement que j’ai des voisins. Sinon je deviendrai — geste vers sa tête désignant la folie… Y-en a qui sont de mon âge. J’ai même une copine ici. ”

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➛ Lors de la dernière séance — Séance de Référence #2 sans musique — elle plie le coin de la feuille, où elle a pu déposer son sentiment de solitude et elle conclut : “ Ça va, je ne suis pas toute seule, comme ça. Et je pleure. Quand on a vu quelqu’un, ça va un peu mieux. J’ai vu du monde. ” Son attitude détendue, souriante et sa capacité à demander de l’aide, montrent qu’un passage a été franchi, après cette dernière séance, sans musique.

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Fiche d’observation:

Les yeux sont ouverts, pratiquement tout le temps. On relève beaucoup de mécanismes de défense chez cette dame. Elle traduit, cependant, une grande réceptivité à la musique et réussit à se détendre sur les CD 3, 4 et 8.

Synthèse du Test de l’Espace:

Dans le pré-test, on relève dans la zone haut-gauche (zone d’inhibition, refoulement, nostalgie) un rond supplémentaire et vide qui confirme la souffrance de Mme M-S M. et son sentiment de ne plus se sentir maîtresse de sa vie. La feuille, placée horizontalement, semble être une confirmation supplémentaire. Le pli de la feuille, bien marqué, et la place des ronds sur les axes indiquent, cependant, que cette dame est capable d’un positionnement clair.

Dans le post-test, ce rond supplémentaire a disparu. Les 5 ronds sont cerclés comme si elle s’était construit une carapace de protection. La taille des ronds se régularise. La feuille est maintenant placée verticalement et traduit un redressement intérieur.

Synthèse du Questionnaire d’Auto-Evaluation:

Le pré-test montre un positionnement. Elle exprime, ne refoule pas son mal-être identifié.

Echelle de dépression importante :

  • L’item “ Je me suis sentie triste ”, réponse : “ de façon continue ”
  • L’item “ J’ai eu du mal à me concentrer ”, réponse : “ souvent ”
  • L’item “ Je pensais que ma vie était un échec ”, réponse : “ souvent ”
  • L’item “ J’étais confiant(e) en l’avenir ”, réponse : “ jamais ”

Dans le post-test, on relève une nette amélioration de tous les items dans l’échelle de l’humeur, puisqu’il n’y a plus rien dans la réponse “ de façon continue ”.

  • Pour l’item “ Je me suis sentie triste ”, la réponse est maintenant : “Quelquefois ”. Elle a même hésité à répondre “ Jamais ” (elle a mis une croix, puis elle l’a barrée).
  • Pour l’item “ J’ai eu du mal à me concentrer ”, la réponse est maintenant:  “Quelquefois ”
  • Pour l’item “ Je pensais que ma vie était un échec ”, la réponse est maintenant : “ Jamais”
  • Pour l’item “ J’étais confiant(e) en l’avenir ”, la réponse est maintenant : “Quelquefois ”

De tout le groupe, M.SM est celle qui diversifie le plus ses réponses.

Synthèse des Dessins :

M.SM a beaucoup utilisé, dans ses dessins, la zone HG — zone dans laquelle elle a placé un rond vide dans le test de l’Espace. Cela semble indiquer le poids d’événements douloureux et conflictuels dans le passé, qu’elle a tentés d’oublier.

Les séances, avec CAP, lui ont permis de revisiter ses souvenirs douloureux, sans avoir à passer par un processus d’élaboration consciente pénible.

M.SM dessine des chats, tout au long de sa série. Symboliquement, des conduites et des comportements qui sont devenus des habitudes, apprises dans la famille, dans le milieu professionnel, et qui ont pu être sources d’épreuves. On peut suivre l’évolution des chats, au fil des dessins:

CD1 : chat rétréci avec des moustaches (antennes) noires, montrant qu’elle perçoit les choses en termes d’anxiété — blessures anciennes qu’elle a refoulées et qu’elle va explorer, en douceur, tout au long des séances avec CAP.

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CD2 : chat noir, hérissé, hagard, qui confirme les coups pris tout au long de l’existence. La position, gauche, du chat traduit bien que le passé est revisité subconsciemment dans une forme détournée qui évite une trop grande souffrance.

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CD3 : Le chat s’humanise et passe dans la zone droite. M.SM projette maintenant sur la feuille de dessin des habitudes en transformation.

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CD4 : On remarque l’amorce d’un sourire d’un chat rouge aux yeux bleus, toujours dans la zone HG : blessure secrète ancienne, qui commence à être acceptée (le sourire traduit l’apaisement en cours). Cette vision, qui se clarifie, permet d’aborder les conséquences de ces blessures: un autre chat marron est dessiné avec la patte arrière gauche noire, comme une blessure : la résidente traduit symboliquement une blessure émotionnelle qui a pu être un handicap, dans son parcours de vie.

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➛ Du CD5 au CD10, elle explore différents aspects d’elle-même, le dessin s’enrichit, les couleurs varient. Elle écrit davantage.

➛ Enfin, dans le Dessin de Référence n°2, on retrouve le chat marron du CD4. Cette fois, il a de belles moustaches colorées et la patte arrière gauche est réparée. La queue, aussi, s’est redressée, confirmant le re-positionnement intérieur de M.SM.

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Synthèse des Verbalisations

L’observation du graphique fait apparaître, sans ambiguïté, l’importance des réponses affectives.

M.SM. exprime clairement ses émotions : “ Je suis triste… Je suis seule ”. Elle exprime aussi clairement son mal-être physique : “ J’ai mal à la tête… Je ne suis vraiment pas bien”.

C’est à la toute fin du processus que ces réponses évoluent : “ Ça va, je ne suis pas toute seule comme ça… Quand on a vu quelqu’un, ça va un peu mieux. J’ai vu du monde ”.

Le bilan de M.SM. :

Elle prend un air malicieux, en voyant tous ces chats : “ Oh… je sais pas, il y a un chat ! ” et demande : “ Alors, qui a fait ces dessins ? ” Une autre résidente la désigne et elle se met à rire de bon coeur.

Durant ce bilan, M.SM manifeste un ensemble de résistances, confirmant nos hypothèses précédentes : elle ne peut aborder certaines choses que de façon détournée, les soignants veillant donc à bien respecter son rythme et à ne rien brusquer.

Il est intéressant de noter que ses résistances sont perçues par une autre résidente, France, qui l’encourage à s’ouvrir : “ Mais tu vas apprendre quelque chose ! ”

Dynamique de groupe intéressante qui s’instaure. M.SM. commence à écouter et s’étonne : “ Et c’est moi qui ai fait tout ça ? ” Toujours très présente, une autre résidente, France, qui regarde attentivement ses dessins, s’exclame : “ Ah c’est formidable, vous savez ! ”

Peu à peu, M.SM. commence à livrer quelques souvenirs de sa vie, rattachée aux animaux qu’elle a eus. Puis, elle se détache du premier niveau et, à l’évocation de possibles lourdes épreuves de son existence, elle confirme “ Oh oui…” Elle est captivée par tout ce qui se dit — ainsi que tout le groupe — comme si la magie d’un conte de fée, qui se raconte à travers les dessins, englobait l’histoire de chacun et, du même coup, reliait tout le monde. C’est encore France qui conclut, émerveillée:  “ Ah ça, je l’avais compris ! ”

En fin de bilan, M.SM. reste silencieuse. Au sortir de la salle, elle prend les deux mains d’une soignante, plante son regard dans le sien et, en souriant, pousse un profond soupir, les yeux embués.

CONCLUSION

L’objectif personnel, fixé pour M.SM est atteint. Elle a su utiliser l’atelier CAP comme espace transitionnel, où elle a pu déposer le deuil de son ancien mode de vie pour en intégrer un nouveau.

Elle était en état de choc et de refus, suite à son entrée récente en maison de retraite. Elle est maintenant adaptée à l’unité de soins, où elle vit en bonne harmonie avec les autres.