Nous sommes de l’étoffe dont les songes sont faits — Shakespeare

La fonction d’imagination ‘’maîtresse d’erreur et de fausseté’’

Gilbert Durand dans l’Introduction de son livre de référence « Les Structures anthropologiques de l’imaginaire» écrit «La pensée occidentale et spécialement la philosophie française a pour constante tradition de dévaluer ontologiquement l’image et psychologiquement la fonction d’imagination ‘’maîtresse d’erreur et de fausseté’’ »

La psychologie classique, contrairement à ce qu’on aurait pu penser, n’a pas été plus positive concernant l’imaginaire qui reste étudié, par certains courants, comme l’enfance de la conscience.

L’imaginaire est donc dévalué, l’imagination est rejetée, la fécondité des images est minimisée. Les images sont, en fait, analysées comme un résidu secondaire de notre vie consciente dans une tentative de trouver un fondement matériel à la fonction symbolique et à l’inconscient.  Cette réduction de la signification des images tend à les ramener dans le champ de la conscience par l’intermédiaire du langage et de la parole. Le symbole, confondu avec les métaphores, les allégories, les emblèmes et les signes perd ainsi de sa puissance transformatrice.

Une énergie qui libère et qui a une fonction profondément cathartique

Un autre courant de la psychologie a essayé de rendre compte de l’imagination comme un dynamisme organisateur des images. Dynamisme qui devient le fondement de notre vie psychique et qui est facteur de cohésion, c’est-à-dire d’harmonie, de solidité, d’authenticité. L’imaginaire n’est alors plus observé comme un recueil d’images isolées les unes des autres et sans grande cohérence, mais comme une combinaison complexe d’éléments, tous reliés entre eux. Dans cette perspective, l’imagination, bien loin d’être un simple produit de refoulement, comme a tenté de la présenter une partie de la psychanalyse, est, au contraire, une énergie qui libère et qui a une fonction profondément cathartique. Révélatrice de vérités, elle cache des trésors, est le lieu absolu de la créativité.

La voie de l’anthropologie

À la lumière de ces premières réflexions, il est facile de comprendre, comme l’écrivait Gilbert Durand « que, pour étudier «in concreto» le symbolisme imaginaire il faille s’engager résolument dans la voie de l’anthropologie en donnant à ce mot son sens plein actuel — c’est-à-dire: ensemble des sciences qui étudient l’espèce homo sapiens …»

En fondant le Centre de Recherche sur l’imaginaire, Gilbert Durand a permis la création d’un mouvement pluridisciplinaire qui encourage et poursuit la position anthropologique qu’il avait lui-même choisie, à savoir étudier le symbolisme d’un point de vue psychanalytique, psychologique,  sociologique, historique, biologique, mythologique, poétique, artistique…

On voit bien que tous les chercheurs qui fondent leur méthode sur cette approche sont amenés à questionner les rapports, à la fois antithétiques et complémentaires, entre imaginaire et rationalité, entre rêve et réalité. Tous arrivent à la même démonstration que l’imagination est à la base de la construction de nos sociétés, de nos institutions, de nos modèles familiaux, de l’expression artistique d’une époque, de la façon dont l’homme se pense, de nos modèles scientifiques, en un mot de nos cultures.

L’hypothèse de Gilbert Durand, et de ceux qui ont repris la suite de son travail, est que nous sommes baignés dans un imaginaire, un climat, une ambiance qui nous imprègne et qui fait ce que nous sommes. L’éducation (école, parent), la culture, les institutions politiques et culturelles impriment en nous des schémas de pensées que nous prenons pour le réel.

Si nous ne prenons pas conscience en tant qu’individu de l’imaginaire de notre époque, nous ne pensons pas la vie, nous sommes pensés par elle. Et nous n’allons pas chercher les solutions à notre mal être, à nos souffrances, à nos questionnements là où l’on pourrait réellement les trouver – à savoir à l’intérieur de nous-mêmes. 

Chaque époque rêve la suivante

Nous sommes actuellement à la croisée des chemins, nous appartenons à une civilisation dite moderne (17e siècle jusqu’au 20e siècle) qui, comme toutes celles qui nous ont précédés, est arrivé à son terme, sans que la suivante ait encore complément émergée.

Walter Benjamin, philosophe allemand, écrivait: « chaque époque rêve la suivante» Mais qui est en train de rêver la nôtre? S’il n’y a pas un travail individuel de recherche de sens, de compréhension de notre évolution psychique, une nouvelle culture risque d’émerger sans que nous en soyons acteur.

Elle sera plus technologique, ce sera peut-être celle du «transhumanisme» qui promet l’homme amélioré puis l’homme augmenté. Mais, tout augmenté qu’ils seront, les humains continueront à être pensés par cette nouvelle civilisation, donc à subir, sans prise de conscience réelle de ce qu’ils sont vraiment. Et ils échapperont ainsi à cette belle mission de devenir des humains accomplis, solidaires et créateurs. 

Dans la phase de transition que nous vivons, la discordance entre ce qui est vécu par chacun et ce qui est véhiculé par nos institutions (politiques, culturelles, médiatiques) est à son comble. Pourtant le terreau d’un autre futur prend corps au travers de prise de conscience, d’organisation sociétale et de regroupement différents, notamment grâce à Internet. Jung au début du 20e siècle écrivait déjà: «  Quand une culture a atteint son apogée, apparaît tôt ou tard, l’échéance de sa dissolution. La décomposition apparemment insensée et désolante en une multiplicité sans ordre ni orientation, capable d’inspirer le dégoût et la désespérance, contient dans son giron obscur le germe d’une lumière nouvelle.»

Donc face à la réponse du tout technologique qui se profile,  je vous propose, dans ce blog, de retrouver certains fondamentaux, au travers des mythes, des contes, des légendes, des symboles et archétypes.  Toute cette matière, en effet, nourrit les rêves, là où résident des graines d’éternité qui pourraient bien engendrées les magnifiques arbres de notre futur.

“ Nous sommes de l’étoffe dont sont faits les rêves» écrivait Shakespeare dans sa pièce ‘La tempête’. Le monde est peut-être bien, quant à lui, le reflet de nos rêves. À nous donc de rêver plus juste et plus beau, sans laisser le sommeil de notre insouciance engloutir nos inspirations.