Un monde étrange et fascinant

Je ne sais pas pour vous, mais en ce qui me concerne, je me souviens de moment précis où j’ai pris conscience que j’étais une personne à part entière, différenciée du monde environnant.

J’ai entre 4 et 6 ans et je joue. A côté de moi, des adultes conversent de façon animée. Je ne sais pas par quel mystère, en une fraction de seconde, je réalise soudain que les mots et les images dans ma tête existent et me sont propres.

Avant, elles étaient là sans que j’en ai conscience et tout à coup, elles prennent vie et me séparent des autres et des choses. Pour la première fois, il y a un intérieur et un extérieur. Je perçois un autre monde rempli de pensées, d’images hétéroclites, un monde étrange et fascinant. Je me sens attirée, bien malgré moi, telle Alice au pays des Merveilles, dans un monde nouveau et inconnu. Je n’ai pas de repères et je navigue à vue mais je ne suis pas inquiète. 

Je commence ce voyage dans ce nouvel univers, sans peur aucune. Je me sens guidée dans une voie à la rencontre de moi-même et des autres devenus soudain des étrangers et qu’il me faut retrouver, mais différemment. La route sera longue mais cet instant, lui, s’est  inscrit, comme un moment de paix et de clarté, de lucidité paisible, de sagesse que je ne l’ai pas si souvent éprouvé par la suite.

Retour sur terre

Retour sur terre, pour mon petit cerveau d’enfant, cette plongée métaphysique est bien intense ! Je n’en continue pas moins, avec mon âme d’expérimentatrice, à explorer ma soudaine compréhension. Je vais voir l’un et l’autre et demande à quoi ils pensent, juste maintenant. Aucune pensée ne se ressemble. J’ai ma confirmation !

Une fleur à la main je pars en quête de ce que voient les autres.  Nouvelle surprise, aucune description ne se ressemble. « Ta fleur est jolie, elle a une grande tige avec de larges feuilles », « J’aime les pétales oranges de ta belle fleur », « Oh, ça fait drôle, le noir dans ta fleur, on dirait qu’elle a mangé du chocolat »…

Mes idées s’emballent, d’où viennent toutes nos pensées, nos perceptions ?

Et si chaque personne est un monde en soi — et il y a beaucoup de gens sur la terre— quel est le grand réservoir qui alimente tout cela. Je me demande si cela vient du ciel et je regarde les nuages. Je me dis que c’est peut-être eux qui contiennent nos pensées. J’en arrive pourtant vite à la conclusion que ça ne tient pas la route, car il n’y a pas toujours des nuages et en tout cas pas assez pour chaque humain.

C’est trop pour aujourd’hui ! Je suis épuisée et je sais que je ne peux trouver réponse à toutes mes questions.

Mes comptines adorées

Pour m’apaiser, comme je le fais toujours, je vais écouter mes comptines sur mon tourne disque. J’adore écouter mes disques, et spécialement celui où je place une sorte de cylindre multi facettes, recouvert de miroirs qui reflètent et animent, en tournant, les images d’animaux dessinées sur le disque. Associé aux comptines, ce mouvement répétitif a le pouvoir de me calmer et de me rassurer, il canalise mon mental. Pas de surprise, je sais exactement quelle image va se produire et à quels moments, pas besoin de réfléchir, juste d’observer.

Mais ce n’est juste que pour un temps.
Je me méfie déjà des choses qui tournent en rond. Alors quand, apaisée je ferme les yeux, les images continuent à tourner et à se répéter jusqu’au moment où elles s’ajustent sur une spirale. Les petits animaux ne tournent plus en rond, ils s’élèvent sur une spirale ascendante dans un mouvement qui ne finit jamais.

Des moments qui transcendent tout

Je m’endors, enchantée. Je préfère les choses qui ne tournent pas en rond. L’assurance de tant de découvertes me donne l’envie de grandir, la force de vivre et l’élan d’apprendre. Ce vécu est le point de départ, je pense, de mon besoin de me regarder sans peur, de comprendre les autres pour mieux les respecter.

Dans toutes mes rencontres, j’ai ce réflexe de sentir en chacun l’étincelle d’intuition qui a lancé leur être et le mouvement de leur existence. Certains en sont si loin, qu’ils sont perdus et misérables. D’autres la renient avec force et sont prêts à tout pour échapper à son souvenir. D’autres, au contraire, l’ont laissée filer mais la recherchent avec passion ou patience. Tout cela tisse un jeu de rencontres souvent compliquées et faussées, parfois passionnantes.

J’ai la chance de vivre dans mon travail des moments de grande authenticité, moments qui transcendent tout, embellissent tout.

Et puis, il y a les belles et rares rencontres avec ceux qui se souviennent et savent faire vibrer les cordes magiquement accordées de leur instrument, leur vie. Je suis heureuse et reconnaissante d’avoir rencontré de telles personnes sur mon chemin. Elles m’ont permis, et me permettent encore, d’entretenir mon étincelle de vie originelle et d’avancer sur une route pavée d’obstacles, sans jamais me sentir perdue.