« Devine ou je te dévore »

Dans ces chroniques, je vais revisiter certains épisodes clefs de ma vie, en essayant de montrer le décodage que j’ai pu en faire, soit immédiatement soit avec le temps. Positifs ou négatifs ce sont tous des cadeaux qui ont jalonnés mon parcours.

En effet, les souvenirs marquants de notre existence ne sont pas là par hasard et ils sont porteurs d’une leçon de vie qui peut nous accompagner dans notre processus de croissance. Qu’ils soient positifs ou douloureux, ces souvenirs deviennent les pierres fondatrices de qui nous sommes. Et leur décodage symbolique leur donne un sens, quasi sacré. Quand on arrive à donner du sens à un vécu, seul, au travers d’un livre, d’une oeuvre artistique, grâce à un ami ou un thérapeute, l’empreinte douloureuse s’efface et laisse place à un sentiment de libération et d’expansion.

« Devine ou je te dévore» a dit le Sphinx.

Depuis l’enfance, je préfère me cogner à l’énigme du décodage, plutôt que d’être dévorée par les épreuves, les incompréhensions de l’existence.

Dès que je me mets à réfléchir à mes vécus, beaucoup de choses se bousculent dans ma tête, car ma vie est riche d’épisodes à la fois tous simples et très intenses.

Aujourd’hui, j’ai donc laissé venir naturellement celui qui s’imposait.

Une enfant difficile

Je n’ai pas été une enfant facile, à bien des égards, et ma communication avec les autres n’a jamais été simple. J’étais très directe, ne filtrais rien de ce que je pensais et notamment j’avais beaucoup de mal à accepter les cadeaux. Rien ne me plaisait.

Et au lieu de remercier, je commentais en général en quoi ce cadeau était insatisfaisant, mal choisi, fait sans intention consciente. Je rejetais les présents, sans m’occuper et sans voir la souffrance que je pouvais générer.

Pourtant, quelques présents échappaient à ce rejet car j’arrivais à ressentir l’intention bienveillante de la personne qui me l’offrait.

Un jour, lors d’une réunion de famille, je devais avoir 13 ou 14 ans, un membre de ma famille, une tante je pense, revient de courses et commence à distribuer un cadeau à chacun. Nous étions six ou sept et chacun recevait et ouvrait son petit, ou plus grand, cadeau. C’était joyeux et très sympathique ce mélange d’enfants et d’adultes, tous sous le charme de ce moment d’échange et de surprises.

Les cadeaux étaient bien choisis, certains objets très jolis. Les papiers cadeaux s’amoncelaient sur la table, les rires et plaisanteries remplissaient la pièce.

Humiliation

Dans cette ambiance, j’ai senti que je m’ouvrais, moi si souvent solitaire et sur la réserve, je lâchai la garde, prête à plonger de tout mon être dans ce moment de bonheur simple.

Tout le monde ayant reçu son cadeau.  Mon tour arrive enfin et je suis dans l’attente de la découverte, souriante et gaie ; ce qui n’était pas souvent le cas.

Ma tante se tourne alors vers moi et me dit: « Rien pour toi, évidemment. Je sais que tu n’aimes pas les cadeaux»

Je ne peux décrire l’effet d’humiliation, de dévastation et de solitude ressentie en cet instant. Très fière, je refusai de pleurer et je ressens encore cette boule dans la gorge.

Je ne sais toujours pas comment j’ai réussi à réprimer mes larmes.

Au delà de l’absence de cadeau, c’est le ton cinglant, méprisant et profondément méchant qui m’a heurté de plein fouet. Aucun membre de la famille ne m’a pas prêté attention à ce moment là, chacun occupé dans l’appréciation et l’échange.

Je regardai cette validation collective de rejet et je me demandais comment j’allais pouvoir continuer à vivre.

Gratitude

J’ai senti alors une petite main se glisser dans la mienne: ma petite voisine de 7 ans, dont je m’occupais beaucoup était présente aussi, ce jour-là. Elle-même avait reçu également un petit jouet.

Elle me regarda tendrement en disant: « Moi je t’aimerai toujours » Et elle me tendit un petit papier sur lequel elle venait de dessiner, à la hâte, un soleil et une fleur qui parlait: 

« Je t’aime ma Chantou». Il était là mon cadeau !

J’ai donc reçu ce jour-là un double cadeau, bien plus profond que le plus bel objet que j’aurais pu recevoir. Cette petite fille qui, du haut de ses 7 ans, a su capter ma détresse et tout ce qui se jouait à ce moment-là, m’a bouleversée et m’a mise sur mes rails.

Je n’étais pas parfaite et pas forcément un objet d’amour pour les autres, avec mon côté revêche, mais je savais que les enfants que j’aimais tant, seraient toujours là sur ma route pour donner du sens à ma vie.

Je savais qu’en les aidant, en les aimant, je pourrais moi-même grandir, changer, mieux me comprendre. C’est ce que j’ai fait.

Ma tante n’avait pas tort, dans le fond. Et cette leçon donnée, sans amour, je la méritais certainement. Il m’a fallu voir, tout au long de ma vie, comment moi-même j’ai pu agir sans amour et sans compréhension des autres.

La trace de ce vécu m’a aidée à me remettre en question et à rectifier mes attitudes intransigeantes.

Merci donc aussi à cette tante !